lundi 5 décembre 2011

Il était une fois - Chapitre 8

Petit Dom, Harry et Hermione s’en allèrent alors par monts et par vaux. Mieux vaut ne pas compter le nombre de kilomètres qu’ils parcoururent dans les landes, le conte en deviendrait long à dormir debout. Deux bouts de parchemins leur étaient apparus dans un sentier, près du chantier, là où le tiers chantait. Le champ qu’ils longeaient était long et logeait un geai aux couleurs chatoyantes. Osant, aux anges, s’allonger sous le peuplier, ils peuplaient de leurs voix la voie des mots, là où les maux se voient circonscrits par les courbures lettrées. Seul le mouvement de leurs lèvres accompagné de leurs pensées permettait que le monde reste monde, qu’il ne s’efface pas au moindre souffle du vide-à-vide mené par Transvivant. Le moindre relâchement de leurs pensées était un risque de tout perdre, de se faire happer _avec le monde lui-même_ par Transvivant. Petit Dom, Harry et Hermione devaient lutter sans cesser pour pérenniser la réalité. La boule de chaleur et la boule de vie les aidaient dans leur quête. Cependant, ils n’avaient toujours pas le code qui leur permettrait de lire les deux premières boules, un code qui donnait accès à la réalité des autres, celle que tout le monde semblait partagée, un code qui permettrait de remettre du sens sur le sang coulé dans le transgénérationnel, un code qui permettrait de comprendre le langage des autres hors de la famille.

Fourmillent de milles et unes lueurs le leurre, voilà ce qui était inscrit sur le premier parchemin trouvé au gré du chemin. Petit Dom, Harry et Hermione ne comprenaient pas le sens de ce premier message. Ils ouvrirent alors le second sur lequel on pouvait lire ceci : miroir du soir au matin te transforme, difforme.

Les mots résonnèrent longtemps dans leurs pensées. Mais pour l’instant ils ne pouvaient rien décoder. Ils arrivèrent à l’entrée d’un labyrinthe. De grosse haies touffues et gigantesques arboraient le chemin de leurs fresques. Les trois amis se demandaient ce qui les attendait. Baies empoisonnées ou monstres Minotaure, ce qui restait certain était qu’ils n’avaient pas de fil d’Ariane. Âmes en détresses, les tresses en liesses, retrouver le chemin. Ce dont ils étaient sûrs : il leur faudrait avancer sur ce chemin pour anéantir Transvivant et Asprasse.

Dès qu’ils franchirent le sas du labyrinthe, l’air se fit froid, glacial, la pénombre s’abattit dans un souffle sournois qui prenait aux abois. Bois par terre, le tremblement se figeait dans les airs. Une atmosphère lourde et pesante dans ce lieu hante. Cette sensation d’être épié n’était pas anodine. Il semblait que des milliards d’yeux se baladaient dans les haies, happant le sentiment continu d’exister des trois amis. Chaque souffle, chaque infime mouvement était pris de tourment. Tourne le  cri infini qui semblait les accuser de toute sorte de méfaits. Fais mais ne fais pas, paradoxal message qui leur était adressé là. Le double message était un des fondements que Transvivant instaurait dans le lien à autrui. Ainsi, il réussissait à faire atteindre à l’autre, au creux de sa conscience, un paroxysme d’angoisse. Les voix qu’il faisait résonner dans la tête des trois amis étaient froides, fourbes et méprisantes ; ainsi Transvivant traçait sa voie ; vois-tu ? Rien à voir, rien à avoir, l’être se disloquait dans les menaces infinies. Les milliards d’yeux scrutaient le moindre détail qui entourait et habitait le monde intérieur des trois compagnons. Ce faisant, ils les utilisaient pour mieux le broyer.

Il n’y avait aucun voile, aucune séparation, même infime, entre les trois amis et ce/ceux qui les entouraient. Toutes leurs pensées se voyaient dévorées par l’extérieur-intérieur. Ils avançaient dans cette atmosphère terrifiante et étrange. L’être ange se perdait dans ces limbes des autres, zôtre envahissants. Les cris des autres envahissaient la tête et le corps de nos trois amis. Ondes transversales qui filaient le long des cellules du corps en dé-corps. Ondes du monde, des autres, des zôtres (petits gnomes méchants qui se cachent sous différentes formes, imprévisibles), le chaos envahissait les trois amis. Il leur aurait fallu un code pour comprendre les interactions avec ceux zôtres qui gesticulaient ; laids et perfides, leurs rides allaient de paire avec les molaires crasseuses, mol air qui ère dans le cratère. Crapules, les zôtres distribuaient des pilules dent-fer qui enferraient dans lent-fer du faire.

Petit Dom, Harry et Hermione ne trouvaient plus comment parler. Ils n’avaient pas besoin de parler pour se comprendre tous les trois. En revanche, ne pas parler c’était anéantir le monde, la réalité. Les zôtres intrusaient leur tête et leur corps, telles milles et une lances rougeoyantes projetées sur le corps en dé-corps et la pensée. Pend, c’est tout à fait ce qu’elles faisaient, pendre les bribes de réalité, tranchant net le sentiment continu d’exister. Les zôtres n’étaient que menaces dans ce terrible palace. Pas las, pourtant nos trois compagnons ; il n’y avait plus qu’à décrypter la partition.

Ils avancèrent parmi ces zôtres, à coup de volonté harassée, haché par le menu, leur corps mutilé. Un objet apparu dans l’embrouillamini des zôtres, et attira l’attention des trois compagnons en catimini. Ils s’en saisirent et il se mit à briller de plus en plus fort, rayons lumineux qui affaissaient les creux, il les enveloppait, bulle protectrice dans la matrice. Tisse et retisse pour que deviennent lisses les abysses ; tisse et retisse un lien à l’ausionnel pour éviter que tout ne se morcelle. Mort scellée, le pacte mis en acte donnait un brin de folie aux zôtres en furie. L’objet luisait donc. Ainsi protégé des zôtres, Petit Dom, Harry et Hermione soufflèrent un grand coup, et observèrent de plus près ce qu’ils détenaient. C’était un tube fermé, entouré de roulettes de lettres ; sans doute fallait-il trouver un code en tournant les roulettes pour que le tube puisse s’ouvrir. Hermione sut tout de suite qu’il s’agissait d’un cryptexe. A l’intérieur est placé un papyrus, enveloppé autour d’une très fragile fiole de vinaigre. Si on essaie d’ouvrir le cryptexe sans le code, en forçant, la fiole se brise et anéantit le papyrus ; ainsi le cryptexe permet de garder à l’abris un secret. Restait donc à trouver le code.

Les trois amis tentèrent différents codes. Le premier qui leur vint à l’esprit était « Transvivant ». Mais le terme ne suscita aucune ouverture. Le cryptexe commençait à baisser en luminosité ; les zôtres à l’affut se tenaient prêts à attaquer les trois compagnons. Il ne leur restait que peu de temps pour ouvrir le cryptexe. Ils tentèrent tout ce qui leur passa dans la tête : asprasse, bouliémisation, ausionnel… Mais rien ne fonctionnait… Frénétiquement ils réfléchissaient, leurs pensées se mêlant par télépathie, en catimini ils associaient des lettres pour trouver enfin la courbure lettrée qui leur permettrait de survivre. C’est alors qu’ils se rappelèrent des phrases trouvées sur les parchemins : miroir du soir au matin te transforme, difforme / Fourmillent de milles et unes lueurs le leurre. Ils essayèrent chacun des mots et finirent par trouver la courbure lettrée qui convenait. Il s’agissait du mot « leurre ». L’heure est-elle à leur avantage ou à leur perte ?

Le leurre comme grande illusion d’une réalité qui est en fait toute fabriquée par l’humanité. La société promeut des normes, des scripts, des coutumes, mais tout cela est balayé d’un coup par l’intrusion massive du Réel, toxique fiel. Tout s’écroule dans la houle en furie. Plus aucun repère de ce qui faisait que la réalité avait un goût de familier. Le voile du familier est déchiqueté, tout paraît étrange, menaçant, tout rappelle la mort, ou plutôt que la mort, la séparation absolue. Tout ce qui entoure garde la même image sage, mais derrière le décors se déchaine le Réel, toxique fiel. Etrange étranger qui, étranglé, râle, suffocation dernière, derrière tout oppresse en liesses. Paresse d’une caresse qui s’étiole dans les râles amers, ah, mère ! comme tu nous manques dès que tu t’éloignes. Foire d’empoigne, la vie dévie en lambeaux, arrachement, lent-beau  de l’ausionnel qui par en bout de ficelles. L’accordage devient ensilage d’une terreur qui s’oppose sans pause à l’attitude désinvolte des zôtres ; zôtres qui arrachent le corps en dé-corps comme s’ils faisaient une suite d’actes anodins. Comme dans les films d’horreur, là où, précisément, ce qui était familier devient étranger et menaçant ; là où, précisément, une comptine familière accompagne un déchiquetage d’un corps devenu lambeaux ; le familier reste identique dans son image, mais il est transfiguré, donnant un côté encore plus menaçant. Transfiguration d’un familier qui devient étranger, cette alchimie entraîne des angoisses profondes, ne pouvant s’exprimer que dans le corps. Comme un nourrisson qui ne reconnaîtrait plus sa mère, elle-même prise dans une panique angoissante. Le sécurisant se transforme inopinément en menaçant. Il mena sans s’en rendre compte, la comptine au bain de sang. Inquiétante étrangeté.

Ainsi le mot « leurre » apprivoisa le cryptexe qui s’ouvrit délicatement. Le papyrus à l’intérieur était tout jauni. Les courbures lettrées étaient inscrites en runes, un système de codage très ancien. Petit Dom et Harry pouvaient se réjouir d’avoir rencontré Hermione : elle avait été assidu au cours de langues anciennes, et maîtrisait, par conséquent , le décodage des runes. Elle s’installa tranquillement, assise par terre pour être au plus proche contact avec le sol (cela la rassurait) ; enveloppée dans la bulle de lumière émanant du cryptexe, elle était protégé des attaques et envahissement des zôtres. Elle sortit sa loupe pour ne pas évincer un détail primordial. Ses deux amis se tenaient autour d’elle, renforçant l’enveloppe sécurisante. Hermione commença ainsi sa traduction…