mercredi 10 août 2011

Il était une fois - Chapitre 5


Au petit matin, ils se levèrent encore abasourdis de leurs visions de la veille. Le feu animait ses braises au milieu de la tente, et laissait assez de chaleur afin de faire chauffer le lait pour le petit déjeuner. Ils se régalèrent de tranches de pain de mie qu’ils trempèrent dans la boisson roborative. Une mission les attendait ; ils devraient plonger dans le lac pour récupérer la boule de chaleur volée par Transvivant. Cette boule était fragile et délicate. Elle avait la grosseur d’une bille et pouvait se trouver n’importe où dans le lac aux tréfonds infinis. Autant dire chercher une aiguille dans une botte de foin. Pourtant ils étaient plein de courage et d’espoir. Il s’agissait de redonner de la chaleur au monde, pour retrouver une anse de sens à laquelle se raccrocher, une once de vie en catimini. Ils sortirent le grimoire et relurent la recette de la potion amphibie. Celle-ci leur donnerait pendant deux heures des branchies pour pouvoir s’aventurer dans les tréfonds sans fond du lac.

Pour la préparer, il fallait une patte de lièvre pour la rapidité, du lait de chèvre pour l’agilité, des écailles de poisson pour les branchies, une plume de phénix pour la longévité _cet animal renaissant de ses cendres_, et des poils de licorne pour la pureté d’esprit. Heureusement, Hermione avait tout préparé avant de quitter le placard à chaussures ; elle avait pris soin de tout ranger dans le sac à extension indétectable. Ils mirent environ une heure pour la préparer et la faire cuir dans le chaudron en fonte, forger à la flamme de dragon (il existait en effet d’autres dragons plus ordinaires qu’Asprasse, des dragons de feu et non de gel).

Après avoir défait le campement, voilà nos trois héros prêt à ingurgiter la potion pour plonger vers une destinée pour la moins hasardeuse. La première gorgée ne produisit aucun effet. Cependant, à peine avaient-ils humecté leurs lèvres de la seconde goulée qu’une violente quinte de toux s’empara d’eux. Leurs poumons se rétractaient, ils suffoquaient, aux prises à l’air ambiant. Harry eut la rapidité, l’esprit assez vif pour pousser ses compagnons dans l’eau lugubre malgré que bleutée de glace, avant de se jeter lui-même, sans nul autre pareil. Au contact de l’eau leurs branchies nouvellement installées se détendirent et leur apportèrent l’oxygène tant convoité.

C’est alors qu’une nuée de petits poissons, dont il ne fallait pas négliger la potentielle dangerosité en ne se fiant qu’à leur taille, fondit sur eux, crocs acérés. Le banc avait pris la forme d’une gueule énorme et béante, désirant par-dessus tout happer ce qui se présentait. Petit Dom, Harry et Hermione ne prirent pas une seconde pour lancer le sortilège du fileus, et un filet argenté sorti directement de leur baguette, bloquant dans ses mailles serrées, les milliers de poissons aux crocs acérés.

Il nagèrent alors de plus en plus vite pour fuir à tout prix la gueule béante qui hantait encore leurs esprits. C’est alors que des tourbillons les emportèrent vers les tréfonds sans fond. L’eau glissait, giclait, s’endiablait, des volutes d’eau sombre les oppressaient de plus en plus, leurs branchies inondées ne pouvaient plus filtrer l’eau qui se densifiait tel un mur, telle une pâte informe et âpre, des geysers de glace jaillissaient des tourbillons et leur tranchaient la chaire, celle-ci laissant s’échapper des chapelets de sang coagulé, l’eau se transformait en un ennemi opaque et fourbe.

Ce n’est qu’au bout de quelques longues minutes qu’ils réussirent à se dépêtrer de ce tourbillon salé, sal et sournois. Sourds, noyés de milles et une goulées, leur goût les avaient quitter, plus aucun désir ne les animait encore dans l’intérieur de leur for. Ils étaient anéantis, mais avaient eu un soubresaut d’énergie pour lancer le sortilège bulboa, se retrouvant ainsi dans une bulle, insensibles aux atrocités ambiantes.

Ils étaient tous trois dans la même bulle, respirant le même oxygène, ballotés de-ci de-là. Des sourds murmures leurs arrivaient, un battement de cœur pulsoyait à l’unisson, la luminosité était assez rougeoyante pour dénoter avec le bleuté glacial environnant la bulle. Les lambeaux de chaire gisant après l’épreuve du geyser se fondirent les unes dans les autres, dans une régénérescence optimale. Ils sentirent leurs corps rétrécir et n’en former plus qu’un. Dans la douceur  de leur tanière embullée, ils renaissaient à eux-mêmes, puisant les uns dans les autres la force de vouloir revenir à la vie. Parce qu’avec ces évènements atroces, ils avaient perdu l’espoir d’un sens à la vie, et pour renaître il leur fallait une bonne de courage. Des nuées argentées voletaient autour de la bulle. Leurs trois animaux de pouvoir étaient là et protégeaient, de leurs corps, la bulle de renaissance. Ils scintillaient de milles éclats et redonnaient foi. Peu à peu Petit Dom, Harry et Hermione revinrent à la vie. La bulle continuaient de scintiller.

Arriver à leur taille réelle, la bulle commença à se dissiper progressivement. Il s’armèrent alors de leurs baguettes, prêts à toute éventualité. Les animaux de pouvoir n’avaient pas encore disparu et continuaient à les protéger de leur lueur argentée. Quand tout eu disparu, ils s’apprêtaient à devoir renouveler une expérience douloureuse, mais rien ne vint. Ils étaient encore sous le choc, mais tout restait au plus calme. Ils nagèrent un moment relativement long sans rencontrer de problèmes dans les eaux troubles du lac. Une heure était déjà passée sur les deux heures qu’ils disposaient avec leurs branchies. Le temps commençaient à compter.

C’est alors qu’ils aperçurent au loin la boule de chaleur. Elle brillait tellement fort qu’on aurait dit un phare dans la nuit la plus sombre. Mais devant eux s’élevait une forteresse gigantesque ; des sirènes nageaient en arabesques, portant des fourches aiguisées au plus près. Elles étaient répugnantes avec leurs yeux globuleux, leurs cheveux de paille, leurs cisailles à la place des mains, leurs habits de satin déchirés, leurs oreilles pointues, leur peau craquelée… Elles ne semblaient pas encore les avoir repérés. Mais un courant d’eau gelée les amenèrent au plus près de la forteresse. Alors un cri strident se répercuta dans les flots. Ce cri sifflait et se répercutait dans les tympans, les faisant vibrer de milles et une secousses, tremblement de chaire, tectonique des plaques de la sphère interne, terne et insupportable bruit, même à leur insu. Petit Dom, Harry et Hermione se bouchèrent les oreilles tant qu’ils purent, mais rien n’y faisait, l’ondulation sonore venait les percuter de plein fouet.

Plus le son entrait en eux, plus leurs corps se mettaient à vibrer, le temps se liquéfiait et l’espace ondoyait. En quelques sortes, l’espace-temps devenait aussi fluctuant qu’un nuage dans  le ciel, cotonneux, un véritable piège quand on le prend pour un siège. Siéger sur un nuage n’est qu’un leurre auquel les humains aspirent, au moins autant qu’à leur tirelire. Bref, l’espace-temps s’étirait et se rétractait à sa guise, ne laissant plus aucun repères à nos trois compères. L’ondulation sonore se faufilait jusqu’à la moindre de leur cellule, les faisant imploser sous le choc, comme de vulgaire breloque. Le cri était tel celui d’un bébé qui hurle à la mort.

C’était sous ordre de Transvivant que les sirènes s’exécutaient. En faisant imploser chacune des cellules, elles rendait Petit Dom, Harry et Hermione aussi vides que lui. C’est alors qu’Asprasse attaquait, dans des nuées glacées. Il rugissait de joie, et ce rugissement s’ajoutait au cri strident des sirènes. Mais nos trois héros maintenaient le cap, envers et contre tout. Evidés de moitié, ils continuaient à nager vers la forteresse. A leur grande surprise, les sirènes ne pouvaient pas les toucher. Tant que leur esprit d’amitié restait, ils étaient protégés.

A peine eurent-ils posés un pied dans la forteresse que le cri strident se tut. Il était temps parce que leurs cellules avaient été presque toutes atteintes. Une porte s’élevait devant eux, grande, majestueuse, incrustée de milles et une pierres sombres. Cette porte résista à leurs vains essais pour l’ouvrir. Cependant des milliers de clés barbotaient de-ci de-là. Harry comprit bien vite ce qui les attendait : un ballet aquatique pour pouvoir récupérer celle qu’il leur fallait. Ils l’avaient déjà repérée ; c’était une grosse clé ancienne et rouillée, incrustée du signe de la mort. Ils se concertèrent un moment et décidèrent que ça serait Harry qui devrait se lancer à la recherche de la clé.

Harry scruta l’eau sombre, et ayant visualisé la clé, il se lança dans une nage frénétique vers elle. Mais à peine s’était-il mis en mouvement que les clés se mirent à s’agiter en tout sens, puis à se lancer à sa poursuite, leurs encoches devenues tranchantes et meurtrières. Harry nagea de gauche à droite, esquivant les plus gros calibres. La grosse clé ancienne était à quelques centimètres de lui. Il accéléra sa nage, d’un coup de pied dans les flots glacés. Il étira son bras, et dans un à coup sans douleur, il attrapa la clé tant convoitée. Cependant les autres clés continuaient à évoluer, assassines, atour de lui. Alors il lança la clé à Hermione et Petit Dom. Ceux-ci ouvrirent la mystérieuse porte, et dans un ultime coup de palme, Harry s’infiltra de l’autre côté. A peine eurent-ils fermé la porte derrière eux que l’assaut ténébreux des clés tranchantes vint se terminer cloué dans la porte. Ils l’avaient échappé belle !

Ils eurent à peine le temps de reprendre leur souffle qu’un courant glacial les enveloppa. Lorsqu’ils relevèrent la tête un poulpe immense s’imposa à leur regard. Il était gigantesque et visqueux. Il faisait des bruits de succions, engloutissant des tonnes d’eau à chaque inspiration. Tout tourna de plus en plus vite, l’eau se mit à jaillir, les muscles de nos trois compagnons se raidissaient à une vitesse astronomique pour résister au courant tourbillonnant des tréfonds sans fond. Mais rien n’y fit, l’aspiration était tellement grande, tellement brutale qu’ils furent engloutis avant d’avoir le temps de prononcer un seul sortilège. Ils se cognèrent les uns dans les autres, mais pas seulement, ils percutèrent aussi les parois flasques du poulpe géant. Plus ils se cognaient plus ils devenaient flasques eux-mêmes.

Quand la trombe d’eau finit de tourbillonner, quand le mollusque céphalopode referma sa grande béance buccale, quand les tentacules arrêtèrent de s’agiter en tout sens, l’intérieur du poulpe devint plus calme. Les trois amis reprirent peu à peu leurs esprits. Ils étaient plein de mucus collant, plein de morve de poulpe. Cependant, ils étaient relativement en forme. Une lueur leur chauffait le dos, atteignant leurs cœurs, apaisant toute tension, redonnant une vague d’espoir et de vie. Ils se retournèrent lentement, sentant la paix s’installer dans chaque cellule de leur être, en union avec la vie, dans une harmonie enjouée, dans un crescendo musical revigorant. Cela avait l’effet puissance mille de la boisson roborative. Ce qu’ils virent leur rendit le sourire : la boule de chaleur luisait dans les tréfonds du poulpe.

Ils s’approchèrent lentement, rampant sur les parois du poulpe. La graisse du mollusque suintait ce qui rendait l’avancée périlleuse. Ils s’agrippaient les uns aux autres pour réussir à progresser mètre par mètre. Plus ils se rapprochaient, plus les eaux glaciales se réchauffaient, plus ils se sentaient ivres de joie, plein de pulsoyance. Ils avancèrent la main, et dans un sursaut poignant, s’emparèrent de la boule de chaleur…

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire