samedi 17 septembre 2011

Il était une fois - Chapitre 7

Ils l’attrapèrent prestement. Le brouillard fantomatique se dissipa dans un bruit sourd. Les spectres s’égosillaient à conter l’histoire de leur mort. Ils avaient besoin d’aide. Leur tête et leur corps étaient remplis de mots sourds qui hurlaient de détresse. Ils étaient cloisonnés dans leur souffrance ne pouvant trouver de réconfort dans leurs paires aussi anéantis qu’eux. La séparation qu’il provoquait entre les vivants était aussi absolue entre eux. Ils se débattaient avec leur éclatement.

Petit Dom, Harry et Hermione avaient attraper la boule de vie, ils étaient maintenant protégés du brouillard fantomatique. Ils pouvaient se parler, se voir, s’entendre, se toucher. Ils étaient libérés de la séparation absolue. Bien sûr la solitude propre à la condition d’humanité était toujours présente, mais elle était atténuée grâce à l’amitié entre eux. Petit Dom pouvait, de part le caractère imaginaire de ses deux amis, fusionner avec eux, et se libérer du poids de la séparation. L’imaginaire était plus vrai que la réalité, il avait plus de saveur, plus de vérité ; leur amitié était ainsi inaltérable. La séparation absolue n’avait rien à voir avec la séparation ordinaire. La séparation absolue impliquait une scission complète, omniprésente et indéniable entre les uns et les autres. La seule chose que l’un pouvait voir de l’autre était une souffrance devant laquelle il était totalement et indiscutablement impuissant. En quelques sortes, Transvivant mettait des sangles autour de la tête de l’un pour le contraindre, sans aucune échappatoire possible ni aucun moyen d’action, à voir la souffrance de l’autre. C’est ainsi que la scène se rapprochait des tortures de guerre dans lesquelles, pour faire parler l’un, on torturait l’autre.

Ainsi la séparation absolue était une arme de Transvivant. Il se servait des morts pour la créer ; ceux-ci coupaient toute relation humaine entre les vivants. Ayant trouvé la boule de vie, les trois amis se voyaient protégés de la solitude absolue. De ce fait, ils purent s’unir pour entendre le cri de désespoir des spectres, les écouter. Ce faisant, ils les libéraient de leurs chaînes de mort. Ce n’est qu’en raison de leur lien d’amitié qu’il pouvait y arriver. La boule de vie agissait comme un diamant, catalysant leurs sentiments de vie pour la transmettre aux spectres.

Des nuées blanches montaient alors vers le ciel en milles et unes étincelles. Elles créaient un dôme de lumière qui les englobait, les protégeait. Magnifiques ramures d’étoiles, la toile de la vie se tissait autour d’eux. Tour de magie, ci-gît les oubliés de la vie. Sage « i » qui fait lien entre les mots. Enrageait Transvivant dans son antre malfamée. En effet, en plus de perdre les spectres, ils avaient une deuxième fois perdu une part de lui-même, une part de son âme.

Petit Dom, Hermione et Harry jubilaient.

Souvent on a dit de Petit Dom qu’il délirait avec ses histoires à dormir dehors, dans le vide, à choir. Delirare signifie « sortir du sillon », « sortir des rails », « dérailler ». Dé-railler pour sortir des railleries du monde. Sonde ce qu’il y a autour de toi, et vois, là, dans le brouhaha, la chaos de la source humaine, pêle-mêle des mots ; des mots qui ne suffisent pas à dire les maux ; des mots qui crée un voile d’illusoire où l’on saute de caillou en caillou, de signifiant en signifiant pour ne pas voir le vide aux tréfonds sans fond. Pour Petit Dom les mots ne remplissent plus leur fonction contenante, le voile de familier a été déchiqueté. Le Réel, toxique fiel, lui apparaît dans sa plus abrupte version. « Vers-sillon », vers d’autres sillons méconnus de beaucoup. Délirer, n’est-ce pas simplement sortir des réalités connues, conne et nues, de la société ? Rester sagement dans les normes pour que les angoisses s’endorment, c’est en oublier Hadès qui nous attend en liesse. Sortir des sillons, Petit Dom n’a pas vraiment le choix. Ça s’impose à lui. Le miroir des choses tombe et laisse apercevoir le néant, et l’ayant vu, il ne peut plus l’ignorer. Tout ce qui, avant, lui procurait du bonheur à la bonne heure, la Nature, la Vie, Transvivant l’avait volé pour ne plus que laisser apparaître l’essence abrupte des choses avec leur dose de finitude. Prélude à un effroi. Petit Dom devenait capable de voir les signes derrière l’image des choses. Ainsi, par exemple les glands qui tombaient sur le toit devenait en une fraction de seconde, le signe de la précarité des choses, le signe de la mort[1]. Et tout devenait signes, tel un message codé qui était adressé à Petit Dom, Harry et Hermione.

C’était ça, aussi, que la boule de la Vie venait contrer. Retrouver un espace de créativité où la nativité pourrait éclore dans une boule d’or. Permettre qu’une boucle vienne se dessiner, se tracer _laisser une trace_, sur cette Terre. Petit Dom, Harry et Hermione s’offrait ainsi le droit d’exister. Transvivant ne pouvait plus les garder dans l’effroi aux abois. Ek-sister dans l’ici et le maintenant, maintenant la vie dans un mouvement, comètes dans les mirettes. L’univers ne prenait sens qu’unis vers la vie. Petit Dom, Harry et Hermione unis vers le verre diffractant la lumière en milles et uns rayons. Luminosité diffractée en milles et uns signes. Seules les courbures lettrées pouvaient les réunifier.

Petit Dom, Harry et Hermione tombèrent sur un poème qui décrivait ce qu’ils venaient de traverser avant de trouver la boule de Vie. Ils s’assirent en rond, cercle contenant, pour le lire ensemble.




Le désespoir[2]


Méditations poétiques

Lorsque du Créateur la parole féconde,
Dans une heure fatale, eut enfanté le monde
Des germes du chaos,
De son oeuvre imparfaite il détourna sa face,
Et d’un pied dédaigneux le lançant dans l’espace,
Rentra dans son repos.

Va, dit-il, je te livre à ta propre misère ;
Trop indigne à mes yeux d’amour ou de colère,
Tu n’es rien devant moi.
Roule au gré du hasard dans les déserts du vide ;
Qu’à jamais loin de moi le destin soit ton guide,
Et le Malheur ton roi.

Il dit. Comme un vautour qui plonge sur sa proie,
Le Malheur, à ces mots, pousse, en signe de joie,
Un long gémissement ;
Et pressant l’univers dans sa serre cruelle,
Embrasse pour jamais de sa rage éternelle
L’éternel aliment.

Le mal dès lors régna dans son immense empire ;
Dès lors tout ce qui pense et tout ce qui respire
Commença de souffrir ;
Et la terre, et le ciel, et l’âme, et la matière,
Tout gémit : et la voix de la nature entière
Ne fut qu’un long soupir.

Levez donc vos regards vers les célestes plaines,
Cherchez Dieu dans son oeuvre, invoquez dans vos peines
Ce grand consolateur,
Malheureux ! sa bonté de son oeuvre est absente,
Vous cherchez votre appui ? l’univers vous présente
Votre persécuteur.

De quel nom te nommer, ô fatale puissance ?
Qu’on t’appelle destin, nature, providence,
Inconcevable loi !
Qu’on tremble sous ta main, ou bien qu’on la blasphème,
Soumis ou révolté, qu’on te craigne ou qu’on t’aime,
Toujours, c’est toujours toi !

Hélas ! ainsi que vous j’invoquai l’espérance ;
Mon esprit abusé but avec complaisance
Son philtre empoisonneur ;
C’est elle qui, poussant nos pas dans les abîmes,
De festons et de fleurs couronne les victimes
Qu’elle livre au Malheur.

Si du moins au hasard il décimait les hommes,
Ou si sa main tombait sur tous tant que nous sommes
Avec d’égales lois ?
Mais les siècles ont vu les âmes magnanimes,
La beauté, le génie, ou les vertus sublimes,
Victimes de son choix.

Tel, quand des dieux de sang voulaient en sacrifices
Des troupeaux innocents les sanglantes prémices,
Dans leurs temples cruels,
De cent taureaux choisis on formait l’hécatombe,
Et l’agneau sans souillure, ou la blanche colombe
Engraissaient leurs autels.

Créateur, Tout-Puissant, principe de tout être !
Toi pour qui le possible existe avant de naître :
Roi de l’immensité,
Tu pouvais cependant, au gré de ton envie,
Puiser pour tes enfants le bonheur et la vie
Dans ton éternité ?


Sans t’épuiser jamais, sur toute la nature
Tu pouvais à longs flots répandre sans mesure
Un bonheur absolu.
L’espace, le pouvoir, le temps, rien ne te coûte.
Ah ! ma raison frémit ; tu le pouvais sans doute,
Tu ne l’as pas voulu.

Quel crime avons-nous fait pour mériter de naître ?
L’insensible néant t’a-t-il demandé l’être,
Ou l’a-t-il accepté ?
Sommes-nous, ô hasard, l’oeuvre de tes caprices ?
Ou plutôt, Dieu cruel, fallait-il nos supplices
Pour ta félicité ?

Montez donc vers le ciel, montez, encens qu’il aime,
Soupirs, gémissements, larmes, sanglots, blasphème,
Plaisirs, concerts divins !
Cris du sang, voix des morts, plaintes inextinguibles,
Montez, allez frapper les voûtes insensibles
Du palais des destins !

Terre, élève ta voix ; cieux, répondez ; abîmes,
Noirs séjours où la mort entasse ses victimes,
Ne formez qu’un soupir.
Qu’une plainte éternelle accuse la nature,
Et que la douleur donne à toute créature
Une voix pour gémir.

Du jour où la nature, au néant arrachée,
S’échappa de tes mains comme une oeuvre ébauchée,
Qu’as-tu vu cependant ?
Aux désordres du mal la matière asservie,
Toute chair gémissant, hélas ! et toute vie
Jalouse du néant.

Des éléments rivaux les luttes intestines ;
Le Temps, qui flétrit tout, assis sur les ruines
Qu’entassèrent ses mains,
Attendant sur le seuil tes oeuvres éphémères ;
Et la mort étouffant, dès le sein de leurs mères,
Les germes des humains !

La vertu succombant sous l’audace impunie,
L’imposture en honneur, la vérité bannie ;
L’errante liberté
Aux dieux vivants du monde offerte en sacrifice ;
Et la force, partout, fondant de l’injustice
Le règne illimité.

La valeur sans les dieux décidant des batailles !
Un Caton libre encor déchirant ses entrailles
Sur la foi de Platon !
Un Brutus qui, mourant pour la vertu qu’il aime,
Doute au dernier moment de cette vertu même,
Et dit : Tu n’es qu’un nom !...

La fortune toujours du parti des grands crimes !
Les forfaits couronnés devenus légitimes !
La gloire au prix du sang !
Les enfants héritant l’iniquité des pères !
Et le siècle qui meurt racontant ses misères
Au siècle renaissant !

Eh quoi ! tant de tourments, de forfaits, de supplices,
N’ont-ils pas fait fumer d’assez de sacrifices
Tes lugubres autels ?
Ce soleil, vieux témoin des malheurs de la terre,
Ne fera-t-il pas naître un seul jour qui n’éclaire
L’angoisse des mortels ?

Héritiers des douleurs, victimes de la vie,
Non, non, n’espérez pas que sa rage assouvie
Endorme le Malheur !
Jusqu’à ce que la Mort, ouvrant son aile immense,
Engloutisse à jamais dans l’éternel silence
L’éternelle douleur !






[1] Cf. le film Antichrist
[2] Poème de Lamartine

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