Il était une fois, un ogre aux abois, bois d’enfants dans les dents. A chaque fois qu’il ouvrait la bouche, ça aspirait des morceaux de corps, mettant en dé-corps le peu de consistance du corps. Assistance portée à ces pauvres naufragés était une bien étrange idée, sous peine de se faire aussi dévorer. Vaurien de monstre, sa parole était folle, elle ne vaut rien qu’un simple coup de chien. Il brisait les liens entre les parties maintenant désunies. Parties du corps, parties des gens, parties de la vie. P’tites parts qui insinuent le cafard dans les moindres interstices. Quand sa bouche s’ouvrait pour parler, le soi se voyait disloqué. Ça aspirait, ça ventilait, par tous les trous, toutes les béances rances, l’anse de sens s’effilochait sans le moindre menuet. Ses yeux asprassait le peu de densité que la danse du corps pouvait peindre en décors.
Il était aussi un petit Dom, tout pris dans les grands yeux de l’ogre. Il n’avait pas d’autre existence que l’errance dans l’absolu de la mer rance. Son corps était émietté, dilué dans le corps à corps avec l’ogre. L’ogre se nommait Transvivant, et s’imposait à tout vent sur les ailes du transgénérationnel. Sa parole était vaine et, paradoxalement, dans la veine, complètement créatrice. Elle créait toute la réalité qui entourait le petit Dom, elle était même le petit Dom. Un simple mot pouvait faire apparaître ou disparaître les arrêtes de la réalités. La colonne vertébrale du petit Dom était cette parole, sang et or, de l’ogre affamé d’humanité. Petit Dom était la proie des mots de cet Autre, de son regard, de la moindre aspiration, transpiration, du moindre souffle, son existence ne tenait qu’à un fil. Au fil des mots, il se voyait prince ou affublé de tous les maux ; au fil des mots, il était consistant, ou perdait l’idée même de l’existant ; au fil des mots il était leader ou simple pantin actionné par des ficelles. Rien n’était faux, rien n’était vrai, rien n’existait.
La parole de l’ogre Transvivant le menait, le constituait, l’existait. Il suffisait que les mots s’éteignent dans un souffle, que le silence des yeux détournés du sens s’abatte en coups de savates, pour que le petit Dom disparaisse en liesses. Il suffisait que des mots soient posés pour que le petit Dom puisse exister. Mais il n’existait pas vraiment en dedans. Il n’était à la fois qu’une coque vide, et à vifs, un amoncellement de rides. Comment tenir quand tout ce qui existe à la fois n’existe pas ? Chaque particule de petit Dom était nulle, béance rance ; chaque cellule ne tenait qu’à un fil, le fil des mots de l’Autre, de Transvivant. Il suffisait qu’il se taise pour que le petit Dom cesse d’exister ; il suffisait qu’il ouvre la bouche pour que le petit Dom soit asprassé. La situation était sans issue, toute crue.
Alors le petit Dom essayait de se raccrocher comme il pouvait. L’écriture était pour lui une ouverture : des mots se créaient et lui donnaient une unité, des mots se créaient et exprimaient les maux _ils les primaient à l’extérieur pour anéantir les leurres_, des mots se créaient et chaque cellule en pillule se remplissait d’existant, tant que le vent du Transvivant ne pouvait rendre tout à néant. L’écriture créait une bulle qui enveloppait les morceaux désunis du pauvre Dom petit. Elle faisait une parole qui pouvait aller en obole face à la parole du Transvivant. L’écriture imprimait une trace d’existant dans la vie des morts-vivants. Petit Dom s’accrochait à la vie comme une lettre à son mot. Mais les maux du nonêtre étaient plus forts que lui.
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